1892 - La première finale

mercredi 13 mai 2020 par Jean-Luc

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En 1892, le Racing a dix ans et le Stade français, son cadet, en a neuf… Pour les deux clubs, 1892 est une grande année : ils participent au premier championnat de France de rugby, plus exactement le premier championnat interclubs pour des associations non scolaires [1]. Il n’y a que deux clubs en compétition...
Les plaquages sont appelés « arrêts ». Victoire du Racing avec 1 essai de Pallissaux (1 point), 1 transformation de Gaspar de Candamo (2 points), 1 tenu en but de Reichel (1 point) sur le Stade français (1 essai de Louis Dedet, 1 transformation de Dobrée).
Offert par le baron de Coubertin secrétaire de l’USFSA (ancêtre de la FFR), le bouclier de Brennus est remis pour la première fois au Racing, 1er champion de France de l’histoire.
L’année suivante, c’est le Stade français qui l’emportera. Ces Parisiens qui dominent les premières années du rugby seront peu à peu rejoints par d’autres clubs : l’Olympique, le Stade Bordelais, le Toulousain…

LA REVUE DES SPORTS – 19 mars 1892

PREMIER CHAMPIONNAT INTERCLUB DE FOOT-BALL

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La Revue des sports - 19-03-1892
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C’est demain que se joue sur la pelouse de Bagatelle le premier championnat interclub. Nous ne saurions laisser passer, sans commentaires, cet événement important ! Le championnat interclubs c’est l’arrivée à l’âge viril d’un jeu dont l’enfance nous donnait bien des espérances ; c’est la rencontre de deux camps composés de jeunes hommes dans toute la vigueur de leur robuste jeunesse, la réunion en équipes de joueurs triés sur le volet, dont chacun a derrière lui un passé de gloire, acquis dans les matchs interscolaires.
Le championnat, va être la pierre de touche, et en observant ces équipes qui représentent ce que l’Union compte de meilleur, on pourra juger des résultats acquis et des progrès à accomplir.
Nous avons eu, hier, le championnat interscolaire ; aujourd’hui, c’est le championnat interclubs ; à demain les rencontres internationales.
L’histoire du foot-ball dans les clubs serait fort courte à retracer et c’est seulement de l’hiver 90-91 que date son essor. Ce fut grâce à l’active impulsion de M. Heywood que le foot-ball s’établit au Stade français ; la première partie d’entraînement fut jouée, croyons-nous, le ler février, et le Racing-Club ne tarda pas à suivre l’exemple qu’on lui montrait ; dès le début, la faveur qui s’attacha au jeu lui conquit chez tous, grands et petits, un grand nombre de fervents.
Néanmoins, la proposition de créer un championnat interclubs de foot-ball, présentée le 17 mars 1891, par le président du Stade français, fut rejetée par le comité de l’Union.
Le jeu menaçait de s’en ressentir et l’ardeur de se refroidir, quand le Racing-Club envoya, en avril, un défi au Stade français.
La partie eut lieu en mai, et, de la rencontre, le S.F. sortit vainqueur par 3 points contre rien.
Dès la rentrée d’octobre 1891, les parties s’organisèrent, et, au début de décembre, les équipes furent déjà assez en forme pour permettre aux capitaines des deux clubs de se donner rendez-vous pour plusieurs rencontres ; le Stade français sortit de ces parties avec un avantage marqué.
C’est demain, dimanche, qu’un match officiel doit nous dire quelle est la meilleure des équipes françaises.
Quel sera le gagnant de demain ? c’est là une question bien délicate à trancher, et chacun prophétise un peu selon que ses amitiés le portent d’un côté ou de l’autre ; les deux équipes paraissent persuadées de tenir la victoire.
La lutte sera évidemment acharnée, et, cependant, quelque soins que la commission du Racing-Club ait mis à choisir son équipe, je ne puis m’empêcher de croire à la victoire du Stade français ; en comparant les deux listes, sur le papier, la victoire paraît acquise à ce club et je vais dire pourquoi.
Deux points faibles sautent aux yeux dans la composition de l’équipe du Racing-Club ; en premier lieu, la ligne des trois-quarts, si importante puisqu’elle est la ligne de défense du but, est composée de Wiet et des deux de Candamo.
J’ai la plus grande estime pour le jeu des deux frères, et rien n’est plus joli à voir que leur manière de passer le ballon, si rapide et si sûre ; mais je doute que leurs moyens physiques soient à la hauteur de leur courage et qu’ils soient capables de résister aux charges formidables d’Oudot, de Braddon, Munier et Dobrée.
Rien n’est plus déconcertant, pour un avant, que de ne pas se sentir pleine confiance en la ligne de défense, et le Racing semble l’avoir si bien compris qu’au lieu de jouer un seul arrière, il en a placé deux : Thorndicke et Duchamps.
Et c’est ici que je trouve un autre point faible : pour employer deux arrières, il ne faut jouer que huit avants ; or, pourquoi le R.C. en compte-t-il neuf, alors que, sur un grand terrain, il est déjà difficile de couvrir à neuf toute la largeur ! dans les mêlées les avants du R.C. auront de même à soutenir un effort supérieur au leur, et, en admettant qu’ils résistent au début, il est à craindre qu’ils se fassent enfoncer dans les mêlées finales.
A mesure que nous avançons dans l’équipe du Racing, nous avons moins de critiques à faire ; les demis sont Charles Roux et Reichel.
Reichel est bien connu pour sa vitesse et sa résistance ; Roux est non moins vif ; reste à savoir ce que les demis opposés, Dobrée et Amand, leur laisseront faire ; ce sera, en tous cas, fort curieux d’observer la lutte d’adversaires aussi rapides.
C’est sur les avants que le Racing compte, pour défendre sa chance ; c’est avec raison que ce cercle attend d’eux de grandes choses. On peut être certain que des joueurs tels que Pallissaux, Cavally, Sienkiewicz, d’Este, pour ne pas les nommer tous, obligeront leurs adversaires à donner leur effort d’une manière soutenue.
Maintenant, passons à l’autre équipe, voyons ce qui fait sa force, et ce qui doit lui donner la victoire.
L’équipé du Stade Francais a pour elle d’être merveilleusement disciplinée et aguerrie, et d’avoir pour capitaine, Heywood, qui sait la faire mouvoir et manœuvrer au moindre signe.
Elle se compose de joueurs endurcis à toutes les fatigues et inaccessibles au découragement. Leur jeu très dur, et même violent, les rend des adversaires redoutables à affronter.
Si nous entrons maintenant dans le détail, nous trouvons une ligne d’avants solidement constituée, avec un centre de mêlée composé de Heywood, Braddon et L. Dedet, et de deux ailes rapides, soutenus par des demis tels que Dobrée et Amand.
Le seul point un peu faible est la ligne des trois-quarts ; mais, néanmoins, ceux-ci suffisent pour donner aux avants toute sécurité sur ce qui se passe derrière eux.
C’est l’examen approfondi des deux équipes qui m’a amené a prévoir la victoire du Stade Français ; mais n’allez pas, de là, conclure que la victoire du S.F. sera facile ; nous allons nous trouver en présence d’un match acharné, où, des deux côtés, on est décidé à n’épargner aucun effort, et quelle que soit la fortune de la rencontre, le vaincu remportera de la défaite son honneur entier.


LA REVUE DES SPORTS – 26 mars 1892

FOOT-BALL
Dimanche 17 mars
Équipe du Racing-Club : Capitaine : C. de Candamo ; arrières : J. S. Thorndike, Duchamps ; trois-quarts : Wiet, C. de Candamo, G. de Candamo ; demis : F. Reichel, Feyerick ; avants : H. Moitessier, A. de Pallissaux, d’Este, Sienkiewiez, Blanchet, R. Cavally, C. Thorndike, L. Pujol.

Équipe du Stade Français : Capitaine : C. Heywood ; arrière : Venot ; trois-quarts : Munier, Pauly, de Pourtalès ; demis : Dobrée, Amand, de Joannis ; avants : Heywood, Herbet, Puaux, Braddon, L. Dedet, P. Dedet, Saint-Chaffray, Garcet.

Arbitre : M. P. de Coubertin ; arbitres de touche : MM. J. Marcadet et Raymond.

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La Revue des sports - 26-03-1892
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Ce grand événement attendu depuis longtemps avec impatience avait attiré à la pelouse de Bagatelle une foule énorme de spectateurs.
Un temps splendide, quoiqu’un peu chaud pour les équipiers, favorisait encore cette réunion athlétique.
Généralement, - presqu’unanimement, pourrait-on dire, on s’attendait à la victoire du Stade ; la défaite de ce club a donc fortement étonné. En fait, les Racingmen se sont surpassés : ils ont joué beaucoup mieux que leurs adversaires.
Ils avaient plus d’ensemble, plus d’entrain et même plus de science que les stadistes et ils ont été, la plupart du temps, maîtres du ballon.
Cependant, malgré un jeu décousu, individuel, jeu tout à fait anormal et qui, peut-être, s’explique par l’indisposition de son capitaine, peu en train, ce jour-là, on pourrait même dire malade, le Stade n’a été battu, leurs adversaires l’avouent eux-mêmes, que par un coup de surprise.
Les Racingmen ont surtout attaqué, les Stadistes se sont tenus, malheureusement pour eux, sur la défensive, mais une défensive si forte que pas un ennemi n’a passé la ligne des avants.
Ce sont des coups de pied qui ont amené le ballon jusqu’aux trois quarts, et c’est l’insuffisance des trois-quarts qui s’est surtout révélée.
Munier a été admirable ; mais Pauly et de Pourtalès, malgré quelques belles courses et un ou deux bons arrêts ont manqué de la vivacité de la sûreté nécessaire pour ramasser le ballon et profiter des quelques instants très courts, il est vrai, que mettaient les avants adverses à arriver jusqu’à eux.
Les avants du Racing, très vifs, au contraire, et très bons coureurs, suivaient admirablement leur ballon, et les trois quarts le prenaient fort bien, peu gênés qu’ils étaient par les charges un peu lentes des assaillants stadistes.
On peut dire, en résumé, que le Racing a tenu, le Stade en respect surtout en le gagnant de vitesse, et que malgré la bonne résistance de celui-ci, un coup de surprise l’a perdu.

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Passons maintenant au détail de la partie :
Le Racing-Club donne le coup d’envoi, le ballon va jusqu’au trois-quarts du Stade. Pauly et Pourtalès commencent par se gêner et perdent un temps précieux ; les avants du Racing en profitent, une charge rapide leur fait gagner un terrain énorme.
Le Stade étonné d’une vivacité et d’une ardeur à laquelle il ne s’attendait peut-être pas, résiste mollement d’abord, son camp est plusieurs fois en danger. Peu à peu, cependant, ses équipiers reprennent leur assurance, avancent pas à pas, par un jeu trop défensif et trop individuel mais serré et dur.
Dans les mêlées fermées, cependant, les avants du Racing beaucoup plus lourds ont l’avantage ; dans les mêlées ouvertes, au contraire, les stadistes, ayant plus de science, l’emportent.
Un coup franc accordé pour une faute dans la mêlée finit de dégager le camp du Stade ; le ballon recule peu à peu jusque dans les vingt-deux mètres ennemis. A remarquer dans cette première partie du jeu qui a duré environ 20 minutes, au Racing : MM. Pujol, Cavally, Feyerick ; au Stade : MM. Heywood, Dobrée, Herbet, Puaux, Amand, Garcet, Herbet et Venot.

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Dans les vingt-deux mètres du Racing, une lutte très vive s’engage ; les trois-quarts et les arrières du Club sont obligés d’intervenir sans pouvoir dégager leur camp ; Cavally, J.-S. Thorndike, Pallissaux, Reichel, Wiet et Duchamps tentent en vain de s’échapper.
C’est le moment où le Stade joue le mieux et ses avants sont un mur infranchissable. Une série de mêlées porte le ballon sur la ligne même de but du Racing, un coup de pied l’y fait pénétrer ; L. Dedet se précipite pour le toucher et fait un essai que Dobrée transforme en but par un bon coup de pied.
Malgré le coup d’envoi donné par le Racing pour engager de nouveau la partie, le Stade reprend l’avantage. Après quelques instants de lutte dans les vingt-deux mètres, de son camp, Dobrée part comme une flèche et arrive jusqu’à l’arrière du Racing.

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Malheureusement, des cris nombreux de « faute » s’élèvent et le font hésiter. Duchamps en profite pour arriver sur lui au plus vite et Dobrée manque ainsi un essai assuré.
Il a du moins gagné plus de soixante mètres de terrain. Les stadistes gardent l’avantage jusqu’à la mi-temps.
A la mi-temps, la victoire du Stade semble assurée ; ses équipiers très entraînés ne sentent pas la fatigue ; les trois points qu’ils ont leur donne bon courage. Les racingmen au contraire paraissent un peu abattus. Heureusement pour eux cet accès de découragement ne doit pas durer.
Tout à l’heure, comme au commencement, ils étonnent les stadistes par leur entrain et leur endurance.
La partie recommence par un coup d’envoi de Dobré. Le Stade se maintient quelque temps dans les vingt-deux mètres de ses adversaires mais finit par reculer. Les racingmen jouent avec beaucoup d’ensemble, se dépensent sans compter. Reichel et C.Thorndike commencent à faire des trouées ; les stadistes, peut-être trop confiants, n’arrêtent même plus aussi bien que tout à l’heure.
Les frères Candamo et Wiet font des passes admirables et gagnent du terrain. A remarquer au Stade cependant de belles courses de Dobré qui a été admirable constamment, une course de P. de Pourtalès, et une course superbe, la plus belle sans conteste de toute la partie, d’Amand qui traversant les lignes ennemies arrive jusqu’à l’arrière.
Malheureusement, il ne voit pas que Pourtalès l’a suivi fort bien et ne passant pas le ballon au moment précis ne retire pas de sa course tout l’avantage qu’on en pouvait attendre.

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Tout à coup un grand coup de pied envoie le ballon dans le camp du Stade, Venot se précipite pour le toucher, Pallissaux s’élance à sa suite, loin derrière, par acquit de conscience. Mais, à la surprise générale, il fait toucher le ballon après Venot qui a glissé et l’arbitre lui accorde, un peu précipitamment peut-être et sans plus ample information, un essai plus que contestable, de l’avis même de celui qui l’a fait. L’essai est tout contre la touche, à deux mètres à peine et il y a bien peu d’espoir que le but se fasse. Cependant, par un coup de pied véritablement splendide et applaudi à tout rompre, C. de Candamo donne deux points de plus à son équipe.
Racingmen et Stadistes ont le même nombre de points ; mais les derniers un peu interloqués par ce revers inattendu et véritablement surprenant, se découragent ; leur capitaine qui ne les a pas si bien en main que d’habitude, ne peut les remonter. Ils commencent à résister mollement.
En avant, Herbet, Garcet et Dedet travaillent seuls avec une véritable ardeur. Dobré, Amand, Munier et Venot les soutiennent, il est vrai, héroïquement. Ces deux derniers arrêtent un nombre incalculable de fois les passes dangereuses des deux Candamo, qui appuient les courses de Wiet.
Ces courses et une série de mêlées amènent le ballon sur la même ligne de but du Stade. Amand y fait avec Reichel un tenu qui donne un point au Racing.
Il ne reste plus que quelques minutes. Le Stade, désespéré, les emploie bien et ramène vivement le ballon. Un coup franc lui est accordé par l’arbitre, juste entre les deux poteaux mais à presque cinquante mètres de distance. Dobré veut tenter cependant la fortune, et, par un coup de pied où il met toute son âme, enlève le ballon d’une façon fantastique. Des applaudissements frénétiques éclatent. Malheureusement pour le Stade, le ballon dévie un peu et passe à un mètre à peine des poteaux.
C’est la fin. Le sifflet de l’arbitre arrête la partie et proclame le Racing vainqueur par quatre points contre trois.


Match entre les équipes juniors de l’A.S. du Lycée Henri IV et du S.A. du Lycée Voltaire. L’équipe de Voltaire arrive par un coup d’envoi dans le 22 mètres de l’équipe d’Henri IV, capitaine Ben-Aïad. Par les charges de Moreau et de Chartron, Henri IV reprend l’offensive et se cantonne dans les 22 mètres de Voltaire. Guiare soutenu par Laquillet, Ben-Aïad et Laroze, fait un essai qui n’est pas converti en but. Aucun autre avantage de part et d’autre jusqu’à la mi-temps. Voltaire menace alors très sérieusement Henri IV. Roussillon allait faire un essai quand il est poussé en touche de but par P. Da Silva. Sur une faute d’Henri IV, un coup franc est donné à Voltaire sans résultat. Hemi. IV attaque vivement et sur une faute de Voltaire un coup franc est accordé à Henri IV qui le transforme en but, grâce à un superbe coup de pied par P. Da Silva. La partie se termine par la victoire d’Henri IV sur Voltaire, par 3 à 0. Parmi les meilleurs joueurs de Voltaire : Kissel, Roussillon, Richard, Le Fant et pour les coups de pied Bac ; à Henri IV, Da Silva, Guiard, Moreau, Laquillet et Roussillon.
C’est sur les instances de la commission de foot-ball que M. de Coubertin est revenu sur sa décision et a consenti à arbitrer dans le championnat interclubs.
Le match inter-club ne met pas fin à la saison de foot-ball. Prochainement, aura lieu une partie entre les équipiers du Racing et du Stade n’ayant pas pris part au Championnat. Les équipiers désirant faire partie de ce match feront donc bien de continuer leur entraînement. En outre, il est fort probable qu’une équipe viendra d’Angleterre lutter contre le Stade français, aux vacances de Pâques ; nous avons donc encore plusieurs parties intéressantes à l’horizon.
Après le championnat interclubs, un punch offert par le Racing-Club a réuni vainqueurs et vaincus. Après quelques paroles des deux capitaines remerciant l’arbitre, et se donnant rendez-vous à l’an prochain, M. de Coubertin a dans une courte allocution du genre de celles qui lui sont familières fait l’éloge des 2 équipes, et dit combien, dans son cœur, la lutte était disputée entre le Stade et le Racing ; c’était un match dans lequel il ne saurait donner de points de préférence et dans lequel il ne saurait y avoir de vainqueur. La réunion s’est terminée cordialement aux cris de vive l’Union.
Quelle moralité devons-nous tirer du championnat de foot-ball ; au point de vue du sport, et du foot-ball en particulier, la victoire du Racing est une bonne chose. La défaite du Stade ne compromet en rien l’avenir du jeu dans ce club ; la défaite lui sera un enseignement dont il saura tirer des fruits. Si le Racing eut été vaincu, le contraire eut pu être à craindre. Devant une supériorité trop de fois affirmée de son rival, le Racing eut peut-être délaissé ce jeu qui lui causait bien des déboires, alors que les autres branches du sport lui faisaient acquérir une légitime renommée. Sa victoire va lui donner un stimulant nouveau pour la saison prochaine. Réjouissons-nous-en ; c’est en effet l’égalité des forces et la rivalité courtoise des deux clubs, qui a fait la vitalité de l’Union, et c’est d’elles que nous devons attendre les progrès qui nous rendront un jour assez forts pour affronter avec confiance les équipes d’outre-mer.

LES SPORTS ATHLÉTIQUES – 26 mars 1892

FOOTBALL

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Les Sports Athlétiques - 26-03-1892
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PREMIER CHAMPIONNAT INTERCLUBS
Dimanche 20 mars 1892

Composition des Équipes.
Équipe du Racing-Club : Capitaine : C. de Candamo ; Arrières : J.S. Thorndike, Duchamp ; Trois-quarts : Wiet, C. de Candamo ; G. de Candamo : Demis : F. Reichel, J. Feyerick. Avants : H. Moitessier, A. de Pallissaux, d’Este, Sienkiewicz, P. Blanchet, R. Cavally, C. Thorndike, L. Pujol.
Équipe du Stade français : Capitaine : Heywood. Arrière : Venot. Trois-quarts : Pauly, Munier, de Pourtalès. Demis : Amand, Dobrée. Avants : Heywood, Herbet, Puaux, Braddon, P. Dedet, Saint-Chaffray, Garcet, de Joannis, L. Dedet.
Juge arbitre : M. de Coubertin.
Arbitres : MM. Raymond et Marcadet.

Le premier championnat interclubs de football.
Une foule considérable que l’on peut évaluer à deux mille personnes se pressait dimanche autour de la pelouse de Bagatelle pour assister à la grande lutte entre les deux équipes du Racing-Club de France et du Stade-Français. On voyait là tous ceux qui de près ou de loin s’intéressent aux deux clubs rivaux et à l’Union. C’est bien un bon signe pour l’avenir du football en France que cet intérêt croissant et de plus en plus éclairé que prend à nos matchs ce public d’élite. Nous avons été surpris d’entendre diverses personnes que nous aurions fortement soupçonnées de ne pas comprendre grand’chose au jeu émettre les critiques les plus sensées sur les fautes commises de part et d’autre. Et comme d’ailleurs, malgré notre légitime satisfaction à constater les progrès accomplis, ce que nous désirons tous, c’est de perfectionner encore nos équipes, ces critiques occuperont une certaine place dans les quelques réflexions que nous présentons aujourd’hui à nos lecteurs sur ce match important.

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Le baron Pierre de Coubertin
(1863-1937)

Et d’abord il a semblé que les équipes n’étaient pas suffisamment tenues en main par leurs capitaines. La conduite de la partie était laissée un peu trop au hasard et le jeu des équipes s’en ressentait. Nous devons ajouter que les Racingmen plus habitués peut-être à faire preuve d’initiative personnelle, ont moins souffert de cet état de choses que les Stadistes, auxquels a beaucoup manqué la direction généralement plus ferme de leur capitaine. Dès le commencement de la partie les qualités et les défauts des deux équipes se sont fait sentir très clairement. Du côté du R. C. une grande vivacité d’attaque qui a tout à fait surpris leurs adversaires et a bien failli dans les cinq premières minutes leur valoir un essai. Pendant toute la partie d’ailleurs la vitesse supérieure des Racingmen leur a été du plus grand secours. Et si nous ajoutons à cette précieuse qualité une réelle science de la manière de disposer les avants « en échelon » pour les passer-ballon, nous n’aurons pas de peine à comprendre que les Stadistes se soient vus obligés dès le début de jouer un jeu défensif qui ne leur est pas habituel. Cette nécessité a beaucoup contribué à les dérouter, tout en leur permettant à eux aussi de montrer les qualités particulières qui les distinguent, une grande sûreté d’arrêt et une certaine habileté à intercepter les « passes » de leurs adversaires. C’est ainsi qu’ils regagnaient peu à peu le terrain conquis par les belles courses des deux Candamo et de Wiet qui ont fait, comme trois-quarts, de vraiment bonne besogne. Il est toujours délicat de citer des noms lorsque tout le monde a bien joué. Il nous semble cependant que du côté du R. C. ce soit Wiet, Reichel, Pujol et J.-S. Thorndike qui ont surtout paru dangereux aux Stadistes. A une grande vigueur corporelle, Wiet joint une parfaite connaissance des règles, ce qui lui permet de profiter des moindres fautes de l’ennemi. C’est ainsi que nous l’avons vu à un moment donner charger Dobrée qui pour un 22 mètres avait pris le ballon au joueur qui se disposait à faire le coup tombé. Et s’il n’a pas eu la chance de faire un essai pour son camp, il s’en est en revanche fallu de bien peu qu’à deux reprises différentes il n’y réussit. Reichel est toujours le joueur endiablé que nous connaissons tous ; doué d’une grande vitesse et d’un entraînement à toute épreuve, il semble être partout à la fois, arrêtant les uns, chargeant les autres, partant avec le ballon au moment où l’on s’y attend le moins. C’est lui qui en somme a assuré la victoire à son camp par un tenu derrière la ligne de but, en profitant de la faute d’Amand qui au lieu de faire toucher le ballon au plus vite, avait voulu dégager son but par une course. Pujol dans la seconde partie surtout, a été admirable dans les mêlées. Il passait presque à tout coup avec son ballon au beau milieu des Stadistes, et, soutenu par d’Este, Feyerick, Pallissaux ou Sienkiewicz, arrivait comme une trombe sur les trois-quarts du S. F. auxquels il ne donnait pas le temps de se reconnaître, les arrêtant au moment même où il ramassait le ballon, et gagnait ainsi constamment du terrain. Quant à Thorndicke ses charges sont au-dessus de tout éloge. Personne ne se serait douté en voyant l’intrépidité avec laquelle il se jetait sur la ligne d’avants du S. F. qu’il y a un mois à peine il s’était fracturé la clavicule, et qu’il était loin encore d’être parfaitement remis. Il faudrait un volume pour retracer tous les exploits accomplis en cette journée mémorable et nous espérons que personne ne nous en voudra si nous n’avons pu nommer tout le monde. Pour bien apprécier les qualités des Stadistes il aurait mieux valu, évidemment, lutter contre eux qu’à leurs côtés. Quelques noms, cependant, se présentent avant les autres lorsqu’il s’agit de distribuer des éloges détaillés. Dobrée, Amand, Munier, Garcet, L. Dedet, ont surtout contribué d’après nous, à maintenir la lutte égale entre les deux équipes en présence. Dobrée, dont l’éloge n’est plus à faire, s’est trouvé constamment sur le chemin des adversaires pour les arrêter, ou leur enlever le ballon quand ils voulaient le « conduire ». Quoique n’ayant pas une grande vitesse, il a fourni plusieurs courses admirables, dont l’une surtout aurait pu devenir bien dangereuse pour le R.C. si les avants du S.F. persuadés que l’arbitre avait accordé une faute, ne s’étaient pas tous arrêtés, laissant Dobrée partir seul avec le ballon. Amand manque encore un peu d’expérience mais c’est un joueur qui deviendra très redoutable. C’est lui qui a fourni les plus belles courses du côté du S. F. dégageant ainsi plusieurs fois son but menacé. Quant à ses arrêts, ils sont impeccables. Sans qu’on puisse leur reprocher la moindre brutalité ils ont cette particularité de mettre l’adversaire sur le dos avant qu’il ait pu passer le ballon. Garcet est un joueur très élégant et en même temps d’une force peu commune à son âge ; nous l’avons vu par deux fois arrêter les charges de Pujol en l’enlevant de terre pour le faire retomber avec une force qui a même soulevé quelques protestations parmi le public. Il ne doit pas être agréable de lui tomber entre les mains, pas plus d’ailleurs qu’entre celles de son camarade de Buffon, Louis Dedet. Celui-ci a une manière de se jeter à la tête des gens qui a généralement pour résultat de les amener à terre avec une force accrue de tout le poids de l’intrépide équipier. Quant à Munier nous avons entendu dire à un Anglais qui s’y connait : « C’est un mur que ce garçon ; il ne manque jamais son homme ». Ajoutons qu’à deux ou trois reprises il a fourni de belles courses en des moments critiques. Cependant, il lui reste encore à acquérir une plus grande vivacité à ramasser son ballon ; comme nous le disions plus haut, il s’est parfois laissé déconcerter par les rapides charges des avants du R.C.

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Au reste, il est à noter, lorsque deux équipes sensiblement égales sont en présence, que les points se font plutôt par suite de fautes commises par l’équipe perdante que par de vraiment beaux coups réussis par l’équipe gagnante. Rien ne pouvait être plus brillant, par exemple, que les courses avec passer ballon des deux Candamo et de Wiet, ou de Reichel soutenu par tel avant du R.C. Jamais cependant ils n’ont réussi à forcer les arrières du S.F. De même ce ne sont pas les belles courses de Dobrée, de Munier ou d’Amand qui ont valu un essai aux Stadistes. Il semble que l’équipe adverse, en présence de ces grands efforts, se multiplie d’autant plus pour la défense. Non, c’est au moment où l’on s’y attend le moins, où l’imminence du danger se fait le moins sentir, que dans un moment de désarroi, on ne sait trop comment, on s’aperçoit tout à coup que l’on a perdu un point. Voyons d’ailleurs la partie de dimanche.

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D’une façon générale peu de grandes courses, d’avantages marqués d’un camp sur l’autre ; une lutte acharnée pour gagner quelques mètres, aussitôt reperdus ; puis une faute de l’un des camps dont profite l’ennemi. C’est au début de la partie le R.C. qui sur une maladresse des trois-quarts du S. F. gagne un avantage considérable sur ses adversaires. Un peu plus tard Dobrée profite d’un moment d’hésitation de la part des Racingmen, à la suite d’une faute réclamée mais non accordée, pour porter le ballon à l’autre bout du terrain. Puis la lutte reprend égale, jusqu’à ce que sur un « ballon touché dans la mêlée » l’arbitre accorde un coup franc au R. C. tout près de la ligne de but. Le coup de pied est manqué, il y a un instant de désordre, et tout à coup Sienkiewicz, L. Dedet, et Puaux se jettent ensemble sur le ballon qui a pénétré on ne sait trop comment derrière la ligne de but du R. C. L’arbitre accorde l’essai à Dedet, et Dobrée réussit le but. Sur ce découragement momentané du R.C. et jusqu’à la mi-temps les Stadistes maintiennent le ballon bien près du camp ennemi. Après la mi-temps Thorndike est remplacé à l’arrière par Cavally dont il prend la place à l’avant. A partir de ce moment la supériorité du R.C. dans les mêlées devient évidente. Les Stadistes sont constamment enfoncés et leurs trois-quarts ont fort à faire pour dégager le but par des courses répétées. C’est ici aussi que sur un grand coup de pied donné dans le ballon, de Pallissaux part comme une flèche vers le camp du S.F. où il arrive avec un mètre de retard seulement sur Venot. Il se produit une bousculade où l’arrière du S.F. croit avoir touché le ballon le premier, mais l’arbitre n’en juge pas ainsi et l’essai est accordé au R.C. à deux mètres à peine de la ligne de touche du but où le moindre coup de pied de l’arrière aurait fait rouler le ballon sans contestation possible, et sans danger pour son camp. Il est vrai que nous n’aurions pas eu le plaisir d’admirer le coup de pied vraiment merveilleux par lequel G. de Candamo transforme l’essai en un but. A leur tour les Stadistes, voyant leurs adversaires regagner ainsi tout le terrain perdu, mollissent considérablement ; ils se voient repoussés graduellement vers leur ligne de but et à la suite d’une mêlée, le ballon pénètre même dans leur camp où Reichel réussit à faire un tenu avec Amand. La victoire est assurée dès lors au R.C. Il ne reste que deux minutes au S.F. pour regagner un avantage quelconque et c’est ce qu’a bien failli accomplir un beau coup de pied de Dobrée sur un coup franc accordé par l’arbitre. L’instant d’après celui-ci arrête la partie, et proclame le R.C. vainqueur par 4 points contre 3. On se sépare aux cris de : Vive le Racing-Club ! Vive le Stade !
C. HEYWOOD

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L’EQUIPE DU RACING-CLUB
Avants
Sienkiewicz. – Est capitaine de l’équipe de Condorcet dans les matchs interscolaires : Fort et lourd, est un bon avant, manque de vitesse et d’énergie. Très précieux dans les mêlées.
C. Thorndike. – A les mêmes défauts que Sienkiewicz mais aussi les mêmes qualités. Le plus jeune équipier, qui a fait très bonne figure aux côtés de ses aînés.
R. Cavally. – Doué d’une force corporelle redoutable et d’une très grande vitesse, est loin d’être le parfait équipier qu’il deviendra avec de l’entraînement. Culbute et arrête dans la perfection.
D’Este. – Très nerveux, très agile et très adroit, connait à fond son jeu d’avant. Ne passe le ballon qu’à coup sûr et fait régulièrement ballon-mort avant l’arrêt inévitable. A été capitaine d’une équipe première des juniors dans un des grands collèges d’Angleterre. Signe particulier : très gracieux.
De Pallissaux. – Très vigoureux et très rapide (c’est lui qui a marqué l’essai du R.C.) joue avec une grande énergie. Charge, arrête et pousse dans les mêlées avec une vigueur renversante.
Moitessier. – Également très rapide, et doué d’une bonne musculature, jette à bas avec une facilité extraordinaire ses adversaires. Remplit avec brio son rôle d’avant, et pratique le dribbling avec succès.
P. Blanchet. – Très vite, suffisamment adroit et très courageux, il ne nuit pas à son équipe, car connaissant sa faiblesse, il passe toujours le ballon à plus fort que lui pour ne pas se laisser enfoncer.
L. Pujol. – Fort, très fort même, très agile, très courageux, très vaillant, joue avec un entrain endiablé. Suit toujours son ballon, bondit sur ses adversaires surpris et troublés d’une telle promptitude. Malheureusement son manque d’entraînement n’a pas permis d’apprécier dans toute leur valeur ses heureuses et brillantes qualités. C’est lui qui a d’un coup de pied envoyé le ballon dans le camp du S.F., et fournit ainsi à de Pallissaux l’occasion de faire un essai. A joué à Hanovre, et en Angleterre et s’est distingué dans les matchs de Football.

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Frantz Reichel
En 1897 au RCF.

Demi Arrières
F. Reichel. – Très rapide, très agile, et d’une adresse remarquable, connait parfaitement son jeu de demi. Montre beaucoup de sang-froid et de présence d’esprit. C’est à lui du reste que le R.C. doit le point qui lui a donné la victoire. A été capitaine en 1890 de l’équipe de Lakanal, et en 1891 de celle du R.C.
Feyerick. – Beaucoup de sang-froid et d’adresse, plus vigoureux qu’il n’y parait, couvre toujours parfaitement la partie de terrain qui lui est confiée. Signe particulier : joue avec une rare élégance.

Trois-Quarts
C. de Candamo. – Capitaine de l’équipe, connait admirablement le jeu en général, et celui de trois-quarts en particulier. Ramasse et passe le ballon avec une vivacité qui n’a d’égale que sa sûreté ; très correct dans son rôle de capitaine ne réclame que les fautes incontestables. A été capitaine en Angleterre d’une équipe première de juniors.
G. de Candamo. – A les mêmes qualités, d’adresse et de vitesse, de sûreté que son frère, avec lequel du reste il s’accorde parfaitement. Très élégant dans tout son jeu, donne le coup de pied avec une précision rare et extraordinaire. C’est lui qui a transformé en but l’essai de Pallissaux par un coup de pied stupéfiant, donné de la ligne de touche.
F. Wiet. – Court et trapu, d’une musculature puissante, excessivement dur à arrêter, passe comme une boule au milieu de ses adversaires, et ramasse le ballon très près de terre. Connait à fond son jeu de trois-quarts, fait de bons arrêts. A été capitaine en 1891 de l’équipe de Lakanal dans les matchs interscolaires.
J. S. Thorndike. – Véritable hercule, d’un sang-froid prodigieux ramasse parfaitement le ballon et charge avec une irrésistible puissance. Est un arrière parfait, ses arrêts donnent à ses co-équipiers une confiance utile. Connait le jeu à fond, et dirige officieusement l’équipe dont il fait partie. En dépit de sa puissance, est doué d’une grande agilité ; a joué avec non moins de science, arrière, trois-quarts, demi, et avant. A été capitaine en Amérique.
Duchamps. – D’une force également peu commune, taillé en taureau, est un arrière d’un calme invraisemblable. Rien ne le démonte, et dans les circonstances les plus graves, ramasse sans trouble le ballon et dégage par un coup de pied puissant son but menacé. Fait des charges redoutables, et ramasse le ballon avec une adresse inouïe. Ne manque jamais ses arrêts. A joué en Angleterre.
Au Racing-Club il vient d’être décidé par commission de Football, que l’équipe première du Club ne jouerait plus cette année avant octobre. Il est cependant à peu près décidé que l’équipe seconde jouera d’ici une quinzaine un match contre la seconde équipe du S.F. En voici à peu près la composition : Arrière : Bonny ; Trois-Quarts : Collas, Ravidat, Duchamp ; Demis : Roux, Denfert-Rochereau ; Avants : L. Faure, Dujarric, Morange, Mauger, de Candamo, Darceau, Day, Corbesco, Raymond, Créteaux.
Au Stade Français, les parties d’entraînement du dimanche et du jeudi seront continuées jusqu’à nouvel ordre à la pelouse de Saint-Cloud en vue d’un match probable contre une équipe anglaise. Les membres de l’équipe première sont priés de venir le plus régulièrement possible aider à l’entraînement de l’équipe seconde du Racing-Club. La composition de cette équipe serait la suivante : Dunwody, da Silva, Bose, Ellimberget, Bué, da Silva, Marquet, Bernard, Glatron, Frédéric, d’Aiguy, de Joannis, Laquerrière, Demeuves, Dedet, Roche, Masson, Beaudoire.


Extrait de « LA FABULEUSE HISTOIRE DU RUGBY » de Henri Garcia

Émouvante première finale

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« La fabuleuse histoire du rugby »
par Henri Garcia
éd. de La Martinière.

Constatant avec Pierre de Coubertin l’engouement sans cesse croissant du football-rugby parmi les scolaires, les universitaires et les intellectuels, qui constituent la grande majorité des sportifs, l’U.S.F.S.A. estime que le championnat scolaire va devenir insuffisant, car il ne touche pas une grande partie des pratiquants qui ont quitté écoles, collèges et lycées, mais qui n’en restent pas moins très attachés à la pratique du ballon ovale. L’organisation d’une compétition est un levier puissant.
Le 5 mars, Les Sports Athlétiques lancent le projet d’un défi pour un championnat interclubs de football :
« Les sociétés qui voudront y prendre part devront en informer le secrétaire du comité avant le 8 mars, 5 heures du soir. Il est donné pour le match une coupe de défi : l’association victorieuse en aura la garde pendant un an. Il sera procédé au tirage au sort (s’il y a lieu) le jeudi 10 mars avant le cross-country. Huit jours avant la date fixée pour son match, chaque société devra envoyer au secrétariat la composition de son équipe et l’indication exacte de ses couleurs. La société désignera en même temps que ses équipiers, un certain nombre de suppléants qui sont admis une fois le match commencé. »
L’Union avait prévu que la finale aurait lieu le 3 avril, mais n’ayant enregistré que les seules candidatures du Racing Club de France et du Stade Français, elle avance la date du 20 mars.
Le succès dépasse tout ce qui s’est vu jusque-là. Sur la pelouse de Bagatelle au bois de Boulogne où le match est organisé, il y a 2 000 personnes, le temps est magnifique, presque trop beau. Les joueurs du Stade Français sont venus individuellement alors que le Racing est arrivé dans une voiture spéciale. Les photographes sont nombreux à vouloir fixer sur leurs plaques les deux équipes ; cela retarde le coup d’envoi, car les gardes du bois doivent dégager le terrain du nombreux public qui l’a envahi, notamment derrière les buts. Dans cette ambiance printanière, le match prend l’allure d’une véritable fête du football-rugby. Le juge-arbitre n’est autre que M. le baron Pierre de Coubertin, qui a déployé une grande activité pour ce premier championnat de France, assisté de MM. Raymond et Marcadet. Les équipes se présentent dans la composition suivante :
Racing Club de France. Arrières : J. S. Thorndike, G. Duchamps ; trois-quarts : Wiel, Carlos de Candamo (capitaine), Gaspard de Candamo ; demis : F. Reichel, J. Feyerick ; avants : H. Moitessier, A. de Pallissaux, d’Este, Sienkiewicz, P. Blanchet, R. Cavally, C. Thorndike, L. Pujol.
Stade Français. Arrière : Venot ; trois-quarts : Pauly, Munier, de Pourtalès ; demis : Amand, Dobrée ; avants : Heywood (capitaine), Herbet, Puaux, Braddon, P. Dedet, Saint-Chaffray, Garcet, de Joannis, L. Dedet.
À 3 heures moins cinq, la partie commence enfin. Après plusieurs péripéties favorables à l’une et à l’autre équipe, le Racing se montre très menaçant. Sienkiewicz rate de peu un essai, puis Carlos de Candamo et son frère Gaspard attaquent à la main et lancent Wiet sur l’aile en débordement, mais Venot, l’arrière du Stade, l’arrête à 10 mètres. Le public jubile et donne de la voix devant ce football vivant. Sur une faute du Racing, le Stade bénéficie d’un coup de pied franc, mais l’angle est mauvais et Dobrée rate le but. Pour être venu ramasser le ballon dans une mêlée, l’arrière Stadiste Venot est sanctionné, mais le Racing manque à son tour le but. G. de Candamo s’échappe encore, mais Venot sauve encore l’essai et G. de Candamo rudement plaqué doit quitter le terrain deux minutes.
Le Racing commet plusieurs fautes de main et une mêlée a lieu près des buts du Racing. Après la pénalisation d’une faute stadiste dans la mêlée, la balle revient dans le camp du Racing et franchit la ligne de but. Sienkiewicz veut sauver, mais il manque son dégagement et L. Dedet touche avant lui dans l’en-but et marque un essai en bonne position que Dobree transforme en but. Selon la règle anglaise, l’essai vaut 2 points et le but après essai 5 points, depuis septembre 1891. Mais d’après la cotation française, qui n’a pas été mise à jour, le Stade ne se voit accorder que 3 points.
Il s’en faut d’ailleurs de peu pour qu’une hésitation des joueurs bleu ciel et blanc n’offre un second essai aux Stadistes, mais Duchamps arrête l’action près de ses buts juste avant que M. Pierre de Coubertin ne siffle la mi-temps.
Le Racing paraît découragé. Une discussion s’élève, car Sienkiewicz prétend qu’il a touché en but avant L. Dedet et que par conséquent l’essai stadiste n’est pas valable. On entoure beaucoup les équipiers du Stade qui sont maintenant grands favoris. Avant la reprise, le Racing fait permuter R. Cavally, qui ne donne pas satisfaction à l’avant, avec J. S. Thorndike. Et c’est aussitôt une superbe échappée d’Amand qui s’empare de la balle dans ses 22 mètres et dévale le long de la touche jusqu’à 20 mètres du but du Racing où Duchamps le pousse en touche. La réplique du Racing est vive. Une balle passée entre les deux de Candamo et Wiet permet à ce dernier de s’élancer dans un champ libre, mais l’arbitre siffle un en-avant de passe. La partie reprend de l’intensité et retrouve de l’équilibre. Voici la fin du match telle que l’a décrite dans Les Sports Athlétiques du 26 mars, un témoin passionné comme tous les spectateurs, Pierre Cartier :
« Après la mêlée, une suite de en-touche suit. Bientôt une seconde hésitation de la journée de l’équipe bleue et blanche ; profitant de ce que ses adversaires attendent le sifflet de l’arbitre, de Pourtalès s’empare du ballon et fait une fort belle course presque d’un bout à l’autre du terrain. Arrêté par les arrières du Racing, une série d’engagements et de charges des plus vives suivent, le ballon est peu à peu entraîné vers le but du Stade lorsque, tout à coup, sur un coup de pied de Pujol, le ballon franchit la ligne de but ennemie. De Pallissaux s’élance et touche le ballon un peu avant Venot ; l’essai est placé juste à l’extrémité droite du terrain, il est en bien mauvaise position. Un moment d’anxiété suit, les partisans du Racing se demandent si l’arbitre l’accordera ; comme dans le premier essai de la partie, un équipier du Stade est tombé sur l’équipier du Racing, a-t-il touché le ballon avant celui-ci ? L’ arbitre accorde l’essai, une acclamation retentit, mais le but semble bien difficile à réussir.
« C. de Candamo place le ballon pour son frère sur la pointe, le lacet tourné vers le but du stade. Le ballon est posé à terre. Candamo prend tranquillement son élan et donne le coup de pied lorsque les Stadistes ne sont pas à 5 mètres de lui. Un beau coup de pied, bien en direction, mais le ballon aura-t-il la force de franchir les 50 mètres qui le séparent du but ? Un cri, mille bravos, le R.A.C.I.N.G. Club ! Des Racingmen indiquent assez que G. de Candamo vient par un magnifique exploit de mettre les équipes à égalité, 3 points contre 3.
« L’agitation est à son comble, le public marque une tendance à dépasser les piquets de touche. M. Heywood, avec beaucoup de sang-froid, encourage son équipe et lui fait voir que rien n’est perdu. Il n’y a plus que 10 minutes avant la fin, d’où possibilité de faire partie nulle. Le ballon mis en jeu à nouveau, est en touche directement : le ballon est une seconde fois remis en jeu au milieu du terrain. De belles charges suivent, les bleu et blanc sont surexcités par l’espoir d’une victoire possible maintenant, Wiet, J. S. Thorndike, de Pallissaux, d’Este, Reichel, sont en groupe vers la droite du terrain à 30 mètres de la ligne de but du Stade Français.
« Wiet mis en touche par Munier et Venot à l’extrémité de la ligne de but fait une faute qui donne lieu à une mêlée. Le ballon sort, Amand s’en empare, oublie de le toucher et permet à Reichel de bondir sur lui, de le saisir et de faire un tenu. Le tenu est accordé par l’arbitre, c’est un point pour le R.C. ; c’est la victoire s’il n’arrive rien dans les cinq dernières minutes qui restent à jouer.
« Le Racing joue maintenant un jeu défensif et cherche simplement à gagner du temps, mais une faute d’un équipier donne un coup franc au Stade juste en face des poteaux du Racing, mais au milieu du terrain. Si le coup franc est réussi, c’est la victoire du Stade. Dobrée le tente, son coup de pied est magnifique, mais c’est trop loin, le ballon dévie et passe à 3 mètres à droite des buts du R.C. Immédiatement, le sifflet de l’arbitre se fait entendre et la partie est arrêtée.
« Le Racing Club gagne par 4 points (un essai, un but, un tenu derrière la ligne de but) contre 3 points au Stade Français (un essai, un but). »
Et Pierre Cartier poursuit en décrivant l’après-match :
« Le capitaine de Candamo est porté en triomphe par ses équipiers jusqu’à la voiture au milieu des vivats et des acclamations des spectateurs. Quelques instants après il invite au nom du Racing Club, M. Heywood et l’équipe vaincue, ainsi que les membres du S.F., au punch qui a lieu au Château de Madrid. Très pittoresque, l’entrée des deux équipes au Château de Madrid, à l’heure où la jeunesse soi-disant dorée revient des courses, le contraste était frappant ; combien les jeunes gommeux paraissaient chétifs auprès de ces vaillants et robustes jeunes hommes qui composaient les équipes du R.C. et du S.F. C’est par ces exemples que l’excellence du but poursuivi par l’Union éclate à tous les yeux.

Le bouclier... de Coubertin

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Le bouclier de Brennus (détail)

« Au punch, M. C. de Candamo prend la parole pour féliciter le S.F. de sa vaillante et remarquable défense et remercie M. de Coubertin d’avoir bien voulu se charger des délicates fonctions d’arbitre. M. Heywood répond en quelques mots fort bien dits et remercie M.C. de Candamo des sentiments qu’il vient d’exprimer et se joint à lui pour remercier M. de Coubertin. Ce dernier, en réponse à ces deux toasts, félicite les deux équipes de leur belle partie et termine en buvant à l’Union. Le splendide challenge dont le R.C. vient de s’assurer la propriété pour un an est offert par M. de Coubertin. Il consiste en un magnifique bouclier damasquiné ; au centre les armes de l’Union, deux anneaux enlacés et la devise « Ludus pro patria ». Monté sur un magnifique cadre de peluche rouge, cet objet d’art fait le plus grand honneur à celui qui l’a conçu, nous croyons savoir que l’auteur n’est autre que le dévoué et sympathique secrétaire général de l’Union.
« Je laisse à un autre le soin d’étudier le jeu des deux équipes en présence, mais je ne puis m’empêcher de constater que jamais il n’a été joué une partie aussi disputée. Il est vrai de dire que les deux équipes étaient composées des meilleurs joueurs français de football. »
Ainsi donc le fameux bouclier, trophée gagné par le champion de France, que le monde du rugby va attribuer plus tard à Charles Brennus et sur le socle duquel on pourra lire « offert par le S.C.U.F. », a une histoire nettement plus ancienne. Comme on peut le constater – le doute n’est pas permis –, le bouclier de Brennus n’a pas été fabriqué, ainsi qu’on le croira longtemps, juste avant la Première Guerre mondiale. Il n’a pas davantage été conçu, comme on le pensera également, par le père Brennus, futur fondateur du S.C.U.F., futur président de l’U.S.F.S.A. et trésorier de la future Fédération française de rugby, pour en faire un objet de décoration dans la demeure de son ami Frantz Reichel.
Le bouclier, s’il est ciselé par Charles Brennus, est essentiellement l’œuvre de celui qui, avant de devenir le rénovateur des Jeux olympiques, est redevenu le Secrétaire général de l’U.S.F.S.A. après avoir été l’arbitre de cette historique finale. L’emblème de l’Union, ciselé au centre du bouclier, est bien destiné à un honneur officiel et non à une simple décoration. Ainsi, le premier titre de champion de France, ce 20 mars 1892, est bel et bien accompagné de la garde de ce qui devrait s’appeler « Bouclier de Coubertin ».

Voir aussi :

[1Un championnat de France interscolaire a été institué dès 1890, remporté par le Lycée Michelet, premier champion de France en 1891.




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