1914 - Il faut réformer le Rugby

Jacques Dedet

lundi 1er février 2021 par Jean-Luc

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En ce début mai 1914, l’AS Perpignanaise est le nouveau Champion de France en battant péniblement d’un point le Stadoceste Tarbais, résultat contesté par des supporters qui veulent s’en prendre à l’arbitre à la fin du match.
Dans cet article de « La Vie au Grand Air » du 16 mai, Jacques Dedet déplore la tournure que prend le Rugby Français. Le jeu est maintenant très populaire et solidement implanté en province mais l’ambiance empreinte de « fair-play » désintéressé des débuts a fait place à la volonté de gagner à tout prix.
La solution de Dedet pour remédier à ce travers : la fin du Championnat de France des clubs, remplacé par un Championnat des Provinces comme c’est encore le cas aujourd’hui en Irlande, au Pays de Galles ou dans les nations de l’hémisphère sud.
Cela aurait peut-être évité les dérives des années d’après guerre [1] et l’expulsion du Tournoi en 1931 [2]...

IL FAUT RÉFORMER LE RUGBY

« La Vie au Grand Air » du 16 mai 1914
 
Par JACQUES DEDET [3]
 

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La cause est jugée, le Football Rugby a acquis droit de cité en France. L’attraction que ce sport exerce sur les joueurs et sur les spectateurs s’est, cette année, manifestée de façon violente. Voilà à peine son implantation dans notre pays terminée, qu’il nous faut déjà prendre des mesures contre l’encombrement qui naît.
Nous possédons, à cette heure, la quantité. Quantité de joueurs prouvée par le nombre d’équipes engagées dans les divers championnats de France. Quantité de spectateurs aussi : les recettes l’affirment sans discussion.
La qualité reste à acquérir. Son acquisition ne sera pas facile, car nous ne la possédons en aucun point. Pour arriver au résultat cherché, des réformes doivent être apportées dans l’organisation du Rugby en France.
 
LA SAISON DERNIÈRE A ÉTÉ MAUVAISE

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Les résultats de la saison ne sont pas de nature à contenter ceux qui désirent nos progrès. Nos luttes avec les équipes du Royaume-Uni ne sont guère à notre avantage, et seul notre match fort honorable contre l’Irlande peut empêcher nos voisins de trop rire de nous.
Le championnat de France lui-même, si ardemment disputé, est loin de pouvoir nous satisfaire. Les luttes y furent nombreuses, serrées, hargneuses souvent, combien peu furent jolies, agréables à voir, comparables même de fort loin, aux évolutions des équipiers de la Rose. Et cette finale, digne clôture d’une année mauvaise, pensez-vous que, énergie mise à part, elle mérite des éloges et soit digne de rester dans l’histoire de nos progrès ? A quel moment donc y fit-on du bon football, délaissant la lutte et le jeu en force ? Quelques minutes avant la fin : c’est peu.
Tarbes a pu se croire un instant champion de France ; Perpignan a le titre, mais ni l’une ni l’autre de ces deux équipes ne me semblent valoir celle de l’Aviron Bayonnais quand elle gagna l’an dernier à Colombes [4]. Le genre adopté par le champion n’était pas celui que je considère comme le meilleur, soit, mais il était poussé, travaillé ; dans son genre l’Aviron Bayonnais avait atteint une perfection.
A tous les points de vue donc national et international, la saison qui se termine ne peut compter parmi les bonnes. Nous avons eu de meilleures équipes nationales, nous avons possédé de meilleurs champions de France. Je ne puis à ce propos m’empêcher de citer le Stade Bordelais en exemple.
 
LE CHAMPIONNAT DE FRANCE
Le système du championnat de France a fait son temps. Il a développé le Rugby, il l’a propagé à travers le pays. Nous lui en sommes reconnaissants, mais de nos jours il tue lentement ce qu’il a créé difficilement. Il est la pierre d’achoppement qu’il faut à mon sens supprimer dès la saison prochaine, si nous tenons à conserver le rugby intact.

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Les clubs ne possèdent qu’une idée, gagner leur championnat. Hantés par cette préoccupation ils font tout ce qu’il faut, et tout ce qu’il ne faudrait pas, pour réaliser leur rêve. Les joueurs ne pensent plus qu’à une chose : faire triompher leur club, et dans ce sens arrivent à penser plus à lui qu’au Rugby ; leur idée du jeu se déforme, ce n’est plus bien jouer qu’il faut, c’est gagner ; on ne se divertit plus, on travaille ; on ne joue plus, on combat.
Dans leurs luttes régionales et mesquines, les clubs se ruinent les uns les autres ; s’affaiblissent sans résultat appréciable autre que la vaine gloriole d’une victoire souvent mal acquise. Durant ce temps et dans ces luttes, des rivalités naissent, des hommes se blessent et demeurent inaptes au jour voulu, à servir dans une cause plus élevée que celle de la défense du club de leur ville ou de leur village. Si j’osais forcer la note je dirais que nous nous entretuons de notre plein gré ; ce n’est pas là le moyen de devenir forts.
Le seul intérêt du championnat était de faire naître l’émulation ; elle est née ; de propager le jeu, il l’est. Rien ne lui sert plus d’exister, qu’il disparaisse. Ceux qui craignent que cette disparition entraîne des désastres, connaissent mal à quel point le Rugby est, dans les régions qui sont aptes à le pratiquer, ancré dans les mœurs et dans les habitudes.

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Le championnat aboli, quel soupir de soulagement nous pousserons tous ! Les organisateurs, les joueurs, les supporters aussi. Avec le nombre croissant de clubs de valeur, quelle dure corvée que celle que vous impose le titre de champion régional. Que de parties dures, et que de déplacements ! Je me demande quelle peut être la fortune de ceux qui peuvent à l’heure actuelle faire tous les voyages qui leur sont imposés ou quelle peut être celle de leur club. J’admire aussi combien ceux qui ont lutté jusqu’au combat final, ont trouvé de liberté dans leur travail quotidien, pour pouvoir faire face à toutes les exigences qui se dressaient devant eux.

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Tout cela n’est pas du bon sport. La lutte à outrance et l’effort continu sans repos, c’est du surmenage. Ce n’est plus du sport, c’est du métier ; voilà l’écueil. Si le Rugby devient un métier, je lui dénie tout intérêt ; du moins il en acquerra un tout autre que celui que nous lui avions accordé jusqu’ici. Nous aurons nos Schakmann [5] et nos Jimmy Esson [6] ; la foule hurlante nous jettera des petits bancs. Il faut conserver au Rugby son caractère de lutte loyale et désintéressée ; il faut que celui qui travaille et qui n’a pas de rentes puisse le pratiquer. Pour cela le joueur ne doit pas être astreint à des déplacements lointains et continuels, à des matches où la lutte dépasse souvent les bornes de la bonne sportivité.
Ne croyez-vous pas que l’esprit encouragé par l’idée de championnat soit mauvais ? Ne pensez-vous pas qu’elle développe un peu trop l’idée de la petite patrie, et qu’elle efface celle de la grande ? N’a-t-on pas dit que dans l’esprit de certains joueurs, la victoire dans un championnat était plus importante qu’un triomphe national ? Les luttes intestines devenues trop nombreuses, loin de nous faire progresser, nous minent et nous affaiblissent.
 
L’ESPRIT SPORTIF
On peut penser aussi, bien que l’on ne doive pas avoir grande estime pour la sportivité des Français en général, que l’idée de championnat a développé au plus haut point dans beaucoup d’esprits une conception tout à fait fausse du Rugby. On ne saurait trop répéter combien le souci d’être honnête, courageux, le désir de jouer bien, doivent l’emporter sur les considérations secondaires qui dominent de nos jours les joueurs et la foule. Pour eux, un seul but : la victoire.
On me permettra de prendre dans l’histoire un exemple récent, caractéristique de notre mauvais esprit sportif.

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Après la finale du Championnat de France, le terrain du Stade Toulousain fut le théâtre de la manifestation la plus anti-sportive et la plus déplacée qui soit. On se demande quels hurlements on eût entendus, à quels débordements la foule se fût livrée, si le club local eût été en cause. La foule avait fait du Stadoceste Tarbais son favori. L’allure du match contribua à agiter les passions au maximum ; l’assaut énergique des Tarbais, leurs charges impétueuses, devant des adversaires lents et désemparés ; l’exclusion de Faure, malgré qu’elle fût parfaitement méritée ; la constante supériorité durant plus d’une mi-temps des équipiers blancs malgré leur nombre moindre ; le refus que Barbe pendant le repos opposa à la rentrée du Tarbais, qui sur la touche se livrait à une mimique inutile et désespérée, tous ces éléments excitèrent la foule entassée sous un soleil chaud et lourd. L’arbitre ne céda pas, le match durant, au public qui aboyait contre sa décision : il paya sa fermeté dès son coup de sifflet final donné.
Ainsi donc voilà tout ce que le sport fait naître dans le cerveau de ces gens : des vociférations, des menaces, des injures. A-t-on bien joué, a-t-on mal joué ? Peu importe. Le favori est battu, haro sur l’arbitre.

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M. Baxter
L’arbitre du France-Ecosse 1913

Il a été payé quatre mille francs par Perpignan, - on précise, - pour désavantager Tarbes. Croyez-vous vraiment, gens emballés, un mot de ce que vous dites ? N’avez-vous pas honte de la conduite que vous avez eue vis-à-vis de celui qui arbitra ? Etes-vous toujours fiers de vos actes, vous qui avez levé la main, et vous qui avez proféré des menaces ? Vous fûtes des sauvages !
Paris aussi, d’ailleurs, la possède sa honte. Chacun se souvient de la conduite faite à Baxter, et combien doivent regretter de voir notre histoire sportive salie par ce geste regrettable, en toute sincérité, en véritables sportsmen. Ce mauvais esprit sportif est détestable, il déshonore un pays qui passe pour chevaleresque [7].

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Certes, on comprend que certains joueurs puissent, à la suite d’incidents, de brutalités involontaires perdre un instant leur sang-froid ; un croc-en-jambe, une gifle prise en passant, un collier de force, en voilà assez pour vous énerver sur le moment. De là à prolonger sa rancune en dehors du terrain, de là à insulter l’arbitre, et à refuser de serrer la main à son vainqueur, quel pas à franchir. Et voilà cependant ce que fit l’équipe de Tarbes, après avoir acquis sur le terrain, par sa vaillance, l’estime de tous les spectateurs.
Ce mauvais esprit va bien avec notre caractère national, nos révoltes faciles, nos mutineries fréquentes. Il serait essentiel que chacun s’efforçât de calmer ce tempérament souvent impulsif.
Loin d’agir ainsi, beaucoup, dans une pensée quelquefois sincère, souvent aussi dans un but peu louable, attisent par leurs faits et par leurs gestes les passions qui couvent, et qui un beau jour, éclatent, impétueuses. C’est eux, les politiciens du sport ; c’est eux, ceux qui exaltent les leurs et dénigrent leurs adversaires, ceux qui parlent le venin à la bouche et déblatèrent contre le pouvoir constitué ; c’est eux qui ont fait éclater l’échauffourée de Toulouse, c’est eux les excitateurs, cause de tout le mal ; grâce aux uns, on n’aura bientôt plus d’arbitre ; grâce aux autres, l’anarchie naîtra peut-être un jour.

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N’est-ce pas à leur travail que l’on doit aussi ce soulèvement du public méridional contre cette fameuse Commission centrale ? L’accueil fait au président de la C.C. dans toutes les villes où il passe a-t-il d’autre raison que leurs affirmations répétées d’incapacité ? Sans vouloir soutenir qu’il n’y ait rien à changer dans notre gouvernement, je pense que ceux qui crient contre lui, et excitent la foule, n’emploient pas un procédé loyal de lutte. De leurs polémiques naissent les idées fausses qui divisent nos joueurs, nos clubs, nos régions. Si des gosses à peine nés aux choses de Rugby se permettent sur le quai d’une gare de tendre le poing et de menacer ceux qui ont en main l’autorité, la faute en est à ceux qui, loin de calmer les esprits, les agitent et les poussent à la révolte. Que l’un d’eux cependant veuille bien réfléchir et dire s’il se sentirait capable du travail que fournit celui dont ils ont fait leur bête noire, susceptible du dévouement dont fait montre celui « d’où nous vient tout le mal ».
La province contre Paris, l’incident Baxter, la conduite faite à Gondouin, le Midi contre la Commission centrale, voilà l’œuvre des politiciens du sport.

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Donc le Rugby ne répond plus en rien à ce qu’il devrait être. L’encombrement semble la cause actuelle de cet état de choses. Il faut nous donner du jour, et suivant le principe appliqué par les états du Royaume-Uni, créer de grandes divisions libres de leurs évolutions, sous le contrôle du pouvoir central. Il faut diviser la besogne, pour qu’elle soit mieux faite. Créons des « comtés » Des comtés au nombre de seize, par exemple, c’est-à-dire des régions bien séparées, dont l’équipe représentante serait la première unité importante, et non plus telle ou telle petite équipe de tel ou tel petit village. Au-dessus de ce comté, la province, si vous voulez l’appeler ainsi. Il y aurait quatre provinces en France : le Nord, le Sud-Ouest, les Pyrénées, le Sud-Est. Parmi les meilleurs joueurs de comtés, choisis sans match de sélection, par le seul choix des dirigeants de ce comté, on formerait l’équipe de la Province. Parmi les meilleurs joueurs de la Province, on sélectionnerait les équipiers de France.
Le championnat de clubs disparaîtrait, il y aurait un championnat de comtés avec des concurrents moins nombreux et plus valeureux. Il ne réunirait que seize compétiteurs, surtout il ne serait plus le point essentiel, capital, il n’apparaîtrait plus comme la raison même du Rugby ; on ne jouerait plus au football que pour être champion de France. Le véritable idéal serait pour tous de bien jouer dans les matches amicaux, pour faire partie de l’équipe du comté ; de bien jouer dans celle-ci pour représenter la Province ; de briller encore pour être équipier national.
Ainsi les questions seraient variées, les joueurs seraient jugés par étapes successives. La première sélection, base de toutes les autres, serait faite par des dirigeants à même de juger la valeur et la forme des joueurs.
Le club, dans cette transformation, perdrait de sa valeur. Croyez-vous que ce serait un mal ? Croyez vous que le petit club qui se multiplie tant en France soit un bien ?
Nous sommes dans une voie tout à fait fausse. Il nous en faut sortir. L’abolition du championnat est la première réforme à établir. Après quoi l’éducation sportive de la foule devrait être le plus grand souci de tous ceux qui ont sur elle une influence quelconque.
JACQUES DEDET.

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La Vie au Grand Air
Couverture du 9 mai 1914.
Barbe à gauche et Duffour à droite.

Gallica


L’Auto-Vélo du 4 mai 1914.

LES GRANDS MATCHES DE FOOTBALL RUGBY

L’Association Sportive Perpignanaise est de justesse Champion de France

Première mi-temps. — PERPIGNAN : 0 ; TARBES : 0
Deuxième mi-temps. — PERPIGNAN : 8 ; TARBES : 7
 
Pendant 62 minutes, les Tarbais dominèrent nettement, encore que jouant à 14 contre 15 et menèrent avec 7 points à rien. Mais ils s’effondrèrent ensuite laissant deux fois franchir leur ligne de but. Et les deux points d’un coup de pied de Giral donnèrent la victoire aux Perpignanais.

 
Les meilleurs athlètes ont gagné
par G. DE HIRIART

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Malgré sa grosse faute de tactique, le Stadoceste Tarbais a perdu aujourd’hui une belle occasion de gagner le Championnat de France. Quand on songe que quinze minutes avant la fin, il avait encore 7 points d’avance ; que trois minutes avant le coup de sifflet final, il menait par 4 points, on reste peiné que sa résistance héroïque ne lui ait pas donné le Championnat. On est d’autant plus attristé que les Tarbais jouèrent pendant 75 minutes à quatorze hommes, leur talonneur Faure ayant été exclu, dès le début, pour s’être permis un inexcusable mouvement de vivacité. Mais, tout en rendant hommage aux vaillants Bigourdans, il faut s’incliner devant le triomphe des Languedociens. Les meilleurs athlètes ont vaincu par leur souffle et leur vitesse. Ils le méritaient, mais leurs malheureux rivaux sortent grandis de cette défaite.
A vrai dire, les Perpignanais auraient dû, semble-t-il, gagner plus facilement. Ils jouèrent pendant soixante minutes comme des enfants, laissant un adversaire, qui pourtant ne monopolisait certes pas le ballon, imposer son jeu. Constamment, la tactique du Stadoceste, en face d’une équipe plus rapide dans sa généralité, était toute tracée : arriver en touche le plus près possible des buts, tenter la trouée avec des bouledogues genre Sentilles ou la percée en force avec de puissants athlètes comme Lastegaray. Il sut la mettre en œuvre efficacement. Docilement, les Languedociens se plièrent pendant les trois quarts du jeu au manège de leurs rivaux. Ceux-ci, très habilement, en profitèrent. Ils s’aperçurent aussi des hésitations de l’arrière perpignanais et provoquèrent des maladresses de sa part. Constamment, ainsi, le jeu fut reporté en territoire catalan, d’où il ne pouvait guère sortir, malgré la fatigue croissante des Tarbais. Enfin, le team languedocien changea d’allure. A ce moment, il avait 7 points de retard et vingt minutes à jouer. Peut-être d’ailleurs ne modifia-t-il son jeu qu’en désespoir de cause pour risquer son va-tout. Les Catalans ouvrirent alors à outrance et s’élancèrent inlassablement. Leurs rapides arrières commirent maladresses sur maladresses, manquèrent par leur faute plusieurs essais et finirent par en réussir deux. La défense tarbaise, héroïque, pourtant, était débordée par la rafale des « sang et or » qui arrivait incessamment à une vitesse folle sur des hommes dont certains étaient incapables de suivre ce jeu à cette allure. Il se produisit des trous dans l’équipe tarbaise et Caujolle lui-même, faiblit sur la fin. Dès lors, si les Languedociens avaient eu la décision et le sang-froid de certaines autres équipes françaises, ils auraient tout bousculé sur leur passage. La grosse erreur des Catalans fut de vouloir fatiguer le Stadoceste en travaillant en force. Ils ne pouvaient pas avoir raison de leurs adversaires en puissance et le pack tarbais le leur prouva bien, puisque à sept hommes il soutint vaillamment l’effort.
La seule tactique raisonnable pour les nouveaux champions était d’user leur rivaux par un jeu extrêmement mobile et rapide, de provoquer la fatigue chez certains hommes que leur manque de vitesse aurait obligé à de grands efforts pour suivre le train. Tout à la fin, ils réparèrent leur faute, mais il était presque trop tard, et pour beaucoup de sportsmen le Stadoceste, incomplet, battu seulement sur le poteau, restera le vainqueur moral d’un quinze qui cependant était meilleur que le sien.
Incontestablement, en effet, les Tarbais surent mieux que leurs adversaires profiter des diverses phases du jeu. Ils utilisèrent, de bout en bout, et au mieux, toutes leurs qualités. Les Perpignanais n’en peuvent pas dire autant, mais ils ont gagné, et ils sont champions par un point.
Mes pauvres amis Tarbais perdent le titre qu’ils espéraient bien conquérir. Saluons les heureux vainqueurs. Leur victoire fut le triomphe tardif, mais indiscutable, de la valeur et de l’homogénéité physique. Et cela confirme une fois de plus la vérité de cet axiome, qui semble cependant un peu paradoxal : le rugby, mais c’est de la course à pied !
G. de Hiriart.

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AS Perpignanaise - Champion 1914
Debout (les joueurs sans chapeau), de gauche à droite : Joseph LYDA, François NAUTÉ, Edouard JOUÉ, Raymond SCHULLER, André CUTZACH, Maurice GRAVAS, Georges LACARRA, Jean ROQUES.
Assis : Paul SERRE, Max COURRÉGÉ, Félix BARBE (CAP.), Joseph AMILHAT.
En bas : Joseph COUFFÉ, François FOURNIÉ, Aimé GIRAL.

 

UNE FINALE ANGOISSANTE

Toulouse, 3 mai (par dépêche de notre envoyé spécial). — On va illuminer ce soir à Perpignan. Nous voyons d’ici la joie exubérante des Perpignanais qui n’ont pu venir aujourd’hui à Toulouse.
L’Association Sportive Perpignanaise, champion du Languedoc, est champion de France de par sa victoire sur le Stadoceste Tarbais, champion de l’Armagnac-Bigorre, obtenue sur le champ des Ponts-Jumeaux, par 8 points (2 essais, 1 but) à 7 points (1 essai, 1 but sur coup tombé). Un point, un simple point, grâce à un but obtenu d’un beau coup de pied de Giral, prive les Tarbais d’une victoire qui semblait déjà acquise. C’est d’autant plus dur que pendant soixante-deux minutes les hommes de Soulé dominèrent dans tous les départements du jeu, encore qu’ils n’étaient que quatorze en ligne, Faure ayant été mis hors du jeu au bout de cinq minutes. En outre, Duffour, touché, n’était guère utile à son équipe. Certes la victoire de Perpignan est belle, mais combien plus belle encore elle serait si, au début de la seconde mi-temps, Barbe, le capitaine perpignanais, avait eu le beau geste de demander, lui-même, à l’arbitre, que Faure fût autorisé à jouer de nouveau.
Les Tarbais avaient 7 points, marqués dans les douze premières minute, à la seconda mi-temps. Ils furent ensuite dominés et bousculés. Deux essais furent marqués dans le dernier quart d’heure par les Perpignanais ; le second, quatre minutes avant la fin. Et c’est la transformation de ce second essai en but qui donna la victoire aux « sang et or », à la grande joie des deux mille Catalans présents, à la profonde consternation des partisans des Tarbais qui, cruellement, voyaient transformer un succès, déjà presque acquis, en une défaite d’autant plus pénible qu’il leur semblait injuste que les Bigourdans eussent combattu avec le handicap d’un homme mis sur la touche ; cependant, constatons que Perpignan gagne par 2 essais à 1 essai à Tarbes, et qu’un autre essai des Catalans ne fut pas accordé. En fait, c’est l’équipe qui a eu le plus de souffle et de vigueur physique qui a triomphé. La victoire de Perpignan est bien méritée. Par les efforts vaillants des joueurs, elle eût été non moins à applaudir si la fortune avait favorisé Tarbes, car les Tarbais furent non moins vaillants.
 
AVANT LE MATCH

Avant le match Toulouse était en ébullition. Des trains spéciaux de Tarbes et de Perpignan avaient amené de nombreux partisans bigourdans et catalans. La matinée fut pluvieuse, mais à une heure un soleil, trop ardent, bril1ait dans le ciel sans nuage.
Autour du terrain c’est la cohue. Des spectateurs sont grimpés dans les arbres qui bordent le canal. Deux tomberont par suite de bris d’une branche et furent relevés, chacun, avec une jambe cassée. Il semble malgré tout que l’assistance fut moins nombreuse que lors de la finale en 1912.
 
LES ÉQUIPES

PERPIGNAN
Arrière : Couffe.
Trois-quarts : Amillat, Courregé, Barbe, Serres.
Demis : Giral (ouverture), Fournier (mêlée).
Avants : 1re ligne : Joué, Schuller, Cutzach ; 2e ligne : Gravas, Nauté ; 3e ligne : Lacarra, Roques, Lyda.

TARBES
Arrière : Caujolle.
Trois-quarts : Cazajous, Gardex, Sentilles, Lacoste.
Demis : Pourtau (ouverture), Laterrade (mêlée).
Avants : 1re ligne : Lastegaray, Faure, Duffour ; 2e ligne : Labeyrie, Mousseigne ; 3e ligne : Lavigne, Vogt, Galiay.

Les Tarbais sont en blanc et les Perpignanais ont des jerseys rouges, parements et cols jaunes.
Ce sont les Perpignanais qui paraissent les premiers sur le terrain. Ils sont applaudis, mais quelques sifflets retentissent. Ce sont de véritables ovations qui accueillent les Tarbais qui suivent. Ils seront, du reste, tout au long du match, nettement les grands favoris de l’ensemble du public. Ceci dit voici comment notre excellent correspondant de Toulouse, M. Piques, a vu la partie.

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Stadoceste Tarbais - Finaliste 1914

 
LA PARTIE

A 3 heures précises, les équipes sont en place. Tarbes face au soleil et Gondouin siffle le coup d’envoi en leur faveur. Laterrade envoie sur Serres qui riposte en touche. La première mêlée a lieu aux 22 mètres des Perpignannais qui sortent le ballon. Mais Fournier est bouclé et les Tarbais amorcent une attaque dangereuse qu’une tentative de drop-goal de Caujolle accentue. Les Perpignanais touchent dans leurs buts et, à la remise en jeu, à la suite d’un incident déplorable, Faure, le talonneur tarbais, est mis hors du terrain par l’arbitre pour avoir frappé violemment Roques. Bien que ne jouant qu’à quatorze, les Tarbais attaquant énergiquement, accusent une nette supériorité et malgré une farouche énergie, les Perpignanais constamment menacés, ne peuvent refouler l’envahisseur qui, se heurtant à une défense désespérée, ne peut marquer. La mi-temps est sifflée sans qu’aucun résultat soit acquis. Tarbes avec quatorze hommes a nettement dominé le quinze « sang et or ».
En raison d’interruptions fréquentes, la seconde mi-temps ne reprend qu’à 4 heures. Duffour ayant une côte fracturée ne peut assurer la responsabilité du talonnage. C’est Lastegaray qui se dévoue. Surprenant les mieux avertis, la supériorité tarbaise se manifeste superbement, et sur une contre-attaque perpignanaise, Lavigne intercepte. Il file et, sur les buts des Catalans, il passe à Pourtau qui sert à Lastegaray lequel a l’honneur du premier essai tarbais qui n’est pas transformé. Tarbes à donc 3 points et cet avantage s’élève aussitôt à 4 points car Pourtau réussit un beau drop-goal. Il reste encore vingt minutes à jouer.
La partie paraît à la merci des Tarbais, quand, subitement, la mêlée tarbaise paraît s’effondrer. Elle ne tient plus en face de 1a poussée violente du pack perpignanais qui, à tout coup, sort la balle avec une facilité dérisoire. C’est dès lors une ruée magnifique de l’équipe perpignanaise vers les buts des Tarbais. Tous les « sang et or » s’emploient de merveilleuse façon et leurs efforts répétés vont assurer à leur équipe un succès définitif que les Tarbais affolés et déprimés ne pourront éviter. Giral distribue le jeu. Gardeix touche une première fois et sauve son camp. Mais après des passes des trois-quarts « sang et or », Serres arrive sur Caujolle, déplace au centre où Joué et Lyda reprennent et marquent 3 points pour Perpignan, car il n’y a pas de but.
Les Tarbais vivront-ils sur leur avance ? Leurs chances restant problématiques car ils ne résistent que péniblement. Et, en effet, après des passes redoublées de la ligne des trois-quarts Perpignanais, Courregé marque un second essai bien transformé par Giral. Encore trois minutes de jeu sans intérêt et 1’arbitre, M. Gondouin, qui arbitra de remarquable façon, siffle la fin. L’Association Sportive Perpignanaise est champion de France, battant de un point son adversaire malheureux, le Stadoceste Tarbais qui mena la partie à son avantage pendant 62 minutes. — Piques .
 
LA PARTIE CHRONOMÉTRÉE

3h.3 : coup d’envoi.
3h.10 : Roques reçoit un coup de pied de Faure. Ce dernier est envoyé sur la touche.
3h.34 : Duffour est touché. Barbe se refusa à laisser rentrer Faure.
3h.36 : Duffour revient.
3h.50 : fin de la première mi-temps.
4h. : reprise du jeu.
4h.10 : essai de Lastegaray pour Tarbes.
4h.11 : but manqué.
4h.12 : but sur coup tombé de Gardex pour Tarbes.
4h.26 : essai de Lyda pour Perpignan.
4h.27 : but manqué par Giral.
4h.30 : Giral rate de peu un but sur coup tombé.
4h.31 : Perpignan marque un essai non accordé.
4h.40 : essai de Courregé pour Perpignan.
4h.41 : but par Giral.
4h.44 : fin du match.
 
COMMENT ILS ONT JOUÉ

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Répétons que les Tarbais dominèrent les 62 premières minutes du jeu. Ils en donnèrent du moins l’impression en jouant le plus souvent dans les 22 mètres de Perpignan, souvent à la touche et à la mêlée. Les Catalans prirent le meilleur, mais les Catalans commirent une grosse faute de tactique à vouloir user en force la défense adverse au lieu de tenter d’utiliser leur vitesse supérieure en ouvrant le jeu. La première mi-temps se passe sans rien au tableau. Les Tarbais sont quatorze contre quinze ; même ils ne sont que treize, car Duffour touché, il a dit-on une côte cassée, ne fait plus que figurer sur le terrain. Et, pourtant, les Catalans, maîtres du ballon, jouent la touche au lieu de faire travailler leurs arrières. Les Tarbais profite de cette faute lorsque les Perpignanais ouvrent enfin le jeu. Lavigne intercepte et voilà l’origine de l’essai tarbais suivi immédiatement d’un but sur coup tombé par Gardex, mais dû aussi à un fameux travail de, Laterrade derrière la mêlée.
Sept points à Tarbes ! Ses partisans exultent. Nous constatons que c’est tôt de vendre la peau de 1’ours, car immédiatement les Perpignanais revenus définitivement de leur mauvaise tactique ouvrent le jeu et, alors, ce sont les Tarbais qui sont réduits irrémédiablement à la défensive. Dès lors la victoire des Catalans est possible si le coup de sifflet final ne survient pas trop tôt.
Les attaques se succèdent. Beaucoup d’entre elles échouent par des maladresses aussi nombreuses qu’inexplicables. Giral peut se vanter, deux fois, d’avoir gâché de belles occasions, et Amillat par sa maladresse, deux fois, aurait pu marquer s’il n’avait pas lamentablement raté des passes excellentes de Barbe et de Courregé.
Si les Perpignanais avaient montré autant d’adresse, de décision, disons même de sang-froid, que de vitesse et de bon entraînement athlétique, c’est à cinq ou six essais qu’ils pouvaient, prétendre. Au lieu de cela, ils gagnèrent sur le poteau, de justesse, et encore peut-on épiloguer sur ce que leurs adversaires étaient amputés d’une unité, et non des moindres : le talonneur Faure de leur mêlée.
Les Tarbais surent utiliser ou mieux leurs qualités, mais incontestablement leurs moyens physiques dans l’ensemble furent de moindre qualité. Les hommes ne tinrent pas tous les 80 minutes.
Individuellement, à Tarbes, Caujolle fut étourdissant de brio, d’adresse, de puissance dans ses coups de pied : vers la fin, il eut deux ou trois courtes défaillances. Après lui, Laterrade, qui fit un travail colossal derrière la mêlée ; Galiay, merveilleux d’activité ; Sentilles et Lacoste, furent les meilleurs attaquants des Tarbais. Lavigne, toujours utile ; Gardex et Cazajous, dont la défense fut impeccable, sont encore à citer.
Chez les Perpignanais, Serres, nettement domina le lot et se montra rugbyman accompli en même temps qu’athlète excellent ; Courregé fit de belles choses et quelques gaffes ; on peut en dire autant de Barbe et de Lacarra ; Schuller eut beaucoup d’activité, trop même parfois, car il fut souvent hors jeu ; Giral fut irrégulier mais précieux par les belles ouvertures qu’il réussit en fin de partie.
Somme toute, nous croyons qu’après Serres, le meilleur fut Roques, jamais en défaut.
L’arbitrage de M. Gondouin fut net, précis, sévère, et toujours juste. Il est déplorable que quelques énergumènes aient cru devoir manifester leur mécontentement de la victoire de Perpignan, en poussant des clameurs de mauvais goût.
Voilà Perpignan champion de France ! C’est un succès bien mérité par les efforts valeureux de ses joueurs, par le dévouement inlassable des dirigeants. Et cette constatation, nous la faisons d’autant plus volontiers que si Tarbes avait été vainqueur nous aurions d’aussi grand cœur salué le succès de ce club, depuis longtemps et courageusement sur la brèche.
Dans la soirée, un grand banquet a réuni, sous la présidence de M. Lemercier, assisté de MM. Longaud, président du Comité des Pyrénées ; Bayrou, président du Comité du Languedoc ; Maumus, président du Comité de l’Armagnac-Bigorre, les Perpignanais et de nombreux invités ; banquet très amical, qui clôtura une très belle journée sportive, qu’on aurait cependant aimée moins ensoleillée.

Paul Champ.

Voir aussi :

sur Gallica :

[3Capitaine de l’équipe de France en 1912, joueur du Stade Français comme son cousin Louis Dedet.

[4Le SBUC vainqueur du SCUF 31-8. Voir sur Wikipedia.

[5Jean Schackmann, lutteur allemand surnommé « l’Étrangleur »... dans les années 1900.

[6Champion écossais de ce qu’on appelait la lutte libre qui deviendra le catch. Voir ce lien.




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